Comme à l’accoutumée, mon réveil sonne à sept heures du matin. Cela fait déjà cinq minutes qu’il vibre. Et si, pour une fois, on m’amenait un café fumant au lit…

Je peux toujours rêver.

Debout, je me traîne jusqu’à la salle de bain. En sortant du lit, j’attrape mon téléphone et jette un œil à la météo : déjà vingt-cinq degrés. La journée s’annonce étouffante.

Je file au dressing et prends trois chemises au hasard. Voyons… une unie, bleue à manches courtes ; une verte à col mao ; et un tee-shirt à rayures style années 1970. Celui-là, je l’aime bien. J’attrape les trois sur leurs cintres et me poste devant le grand miroir sur pied, légèrement incliné. Je me découvre en entier, les cheveux ébouriffés. Il faudrait que je me rase aussi.

J’essaie les chemises l’une après l’autre.

Laurent : Quoi choisir… et j’allais choisir autre chose ?

Robert : Arrête ! Tu ne vas pas encore hésiter. Trois, ce n’est pas suffisant ?

Laurent : Je ne sais pas… tu trouves ?

Robert : Choisis parmi ces trois chemises et j’exaucerai un de tes vœux.

Laurent : Tu te fiches de moi ? En plus, un miroir qui parle ! J’ai vraiment besoin d’un café immédiatement.

Robert  : Non, non… s’il te plaît, reste. Si tu pars, je ne reviendrai te voir que… quand tu ne seras plus de ce monde.

Laurent :  Ce n’est pas très rassurant, ça.

Robert : Que veux-tu, je suis très demandé. Je te fais une fleur en venant te voir sans que tu m’aies sollicité.

Laurent : Je suis vraiment en train de parler avec mon miroir ?

Robert : Pourquoi pas ? Choisis l’une de ces trois chemises et tu verras bien. Donne sa chance au produit : tu ne seras pas déçu.

Laurent : Bon… après tout, qu’est-ce que je risque ? C’est bien parce que c’est toi, miroir. Alors… je choisis les rayures des années 1970.

Robert : Excellent choix. À présent, je peux exaucer ton vœu. Que souhaites-tu le plus au monde ?

Laurent : Le plus au monde ?

Robert : Oui. De quoi as-tu envie : de l’argent, des amis, un super boulot, la famille, la santé…

Laurent : On dirait ma mère. Mais elle aurait mis la santé et la famille en premier. Quoique…

Robert : Alors, quel est ton vœu ?

Laurent : Un seul et unique vœu ?

Robert : Oui, un seul.

Laurent : D’accord. Je veux…

Robert : Oui ?

Laurent : Que tu sois mon psy.

Robert : Ah… Je ne m’attendais pas à ça. Je croyais que tu en avais déjà un. Mais soit : je serai ton psy.

Laurent : Et comment dois-je t’invoquer pour nos entretiens ?

Robert : C’est simple : tu te mets face au miroir et tu prononces le sésame « Oh, Robert, blabla, blabla ». Et nous parlons.

Laurent :T u es sûr que ce n’est pas plutôt : « Oh miroir, miroir, dis-moi si je suis le plus beau de mon royaume » ?

Robert : Non, on n’est pas dans un conte de fées. Et puis, mon nom est Robert : si tu m’appelles autrement, je serai vexé.

Laurent : En plus, tu es susceptible. C’est bizarre comme nom pour un miroir qui fait de la psychanalyse, Robert… mais bon, pourquoi pas.

Robert : Oui, c’est mon nom. Et je suis un psycho-miroir, pas un machin-truc-psy. On ne choisit pas son rôle, c’est comme ça.

Laurent : Un psycho-miroir qui s’appelle Robert… Tu es sûr que tu n’aurais pas besoin, toi aussi, d’un psy ?

Robert : Pourquoi ? Tu veux devenir mon psycho-humain ?

Laurent : Ça ne va pas, Robert-miroir ! Et quoi encore ! Quoique, ce serait amusant pour un écrivain que de raconter les péripéties de son… comment tu dis… psycho-miroir. On verra si tu m’es utile, déjà.

Robert : D’accord. Tu verras : je suis très perspicace comme psycho-miroir. J’ai même un diplôme. J’ai travaillé dur pour l’obtenir. Tu veux voir mon diplôme, histoire de te rassurer ?

Laurent : Pas la peine, je te crois sur parole. Ce n’est pas tout, mais je dois me remettre à mon travail de romancier. Je te souhaite une bonne journée, Robert.

Robert : Belle journée à toi, très cher.

Laurent : Et on pourrait parler de mon roman qui n’en finit pas de ne pas finir ?

Robert : Si tel est ton souhait. Une autre fois. Moi aussi, on m’attend, un autre patient… Nous en discuterons.

Laurent : C’est inattendu d’avoir fait ta connaissance. Pourquoi pas. À bientôt.

Robert : Heureux de rendre service.