Laurent Chani, assis à son bureau plume en main, observe pensivement une suite de bulles translucides s’élevant dans l’air comme une métaphore de l’imagination | Laurent Chani, seated at his desk with a quill in hand, gazes thoughtfully at a series of translucent bubbles rising into the air as a metaphor for imagination

Le libre arbitre fut l’un des points de départ de mon projet d’écriture,
Il s’accompagnait du désir d’explorer ce que pourrait devenir l’humanité dans un futur proche que, sans pour autant je ne connaîtrai pas de mon vivant. Certes, le sujet n’a rien d’original. Robert A. Heinlein, l’un des précurseurs en la matière, avait déjà esquissé une « histoire du futur » dès 1950. ON pourrait cité d’autre auteur que je ne connais pas et qui fait des projections de l’avenir de l’homme.

Pour moi, le libre arbitre ouvre un ensemble presque infini de chemins que l’individu peut emprunter, en opposition à ce que la destinée ou l’inévitable impose. J’enfoncerais une porte ouverte en rappelant que, comme la mort, la destinée est inéluctable. Ce que nous ignorons à chaque instant de notre vie consciente, c’est le « comment » et le « quand ».

Prenons un exemple trivial : le trajet du retour après une journée de travail. Par habitude, nous suivons toujours le même chemin sans même y penser. Un soir pourtant, au lieu de prendre comme toujours la route de droite, nous bifurquons à gauche : il faut acheter du pain. Ce changement ne nous empêchera pas, sauf imprévu, de finir la soirée chez nous.

Là où je veux en venir, c’est que nous ne choisissons ni notre lieu de naissance, ni nos parents, ni la société qui nous façonne. Mais nous avons, dans une certaine mesure, la capacité de faire nos propres choix, autrement dit de prendre notre destin en main.

Le thème traverse toute la littérature, depuis « L’Iliade » d’Homère, où les dieux interfèrent dans les affaires humaines tout en laissant aux héros une part de libre arbitre, jusqu’à des œuvres plus récentes. Je pourrais citer « 1984 » d’Orwell, mais je préfère « Un monde insoutenable » d’Ira Levin (1970). Ce roman décrit un monde parfait où des injections neutralisent toute volonté. Un jour, le héros transgresse les règles d’un système gouvernemental dystopique. En remontant les fils de l’ordre établi, il découvre ceux qui maintiennent l’équilibre de ce monde sous contrôle. Ces derniers lui proposent de siéger à leur table, celle où se planifie la destinée de l’humanité. Ainsi, Levin raconte l’histoire d’hommes qui se croient maîtres de leurs choix, alors qu’ils sont gouvernés par un pouvoir invisible et supérieur.

Le cycle Fondation d’Isaac Asimov m’a encore plus marqué. Son concept central, la psychohistoire, postule que, si chaque individu conserve un libre arbitre, l’évolution de l’humanité suit malgré tout un chemin prédéterminé, ponctué d’étapes inévitables. Je nommerais ces étapes des « nœuds d’inéluctabilité ». Tout individu a le libre choix de se mouvoir dans l’entrecroisement des sociétés. Pourtant, Fondation part du postulat que l’humanité va subir des crises à des moments prédéterminés par cette fameuse psychohistoire que l’auteur appuie sur une approche scientifique irréfutable.

Libre arbitre et destin ne sont donc pas nécessairement incompatibles. Si je devais représenter ces deux notions, j’imaginerais un espace tridimensionnel, prolongé par la dimension du temps, auquel j’ajouterais une cinquième dimension : celle de la succession des événements. Je n’ai pas encore établi si cette dimension est unique ou multiple.

Ma vision de l’univers, qu’on réduirait à un schéma en trois dimensions, ressemblerait à une spirale infinie de ballons accolés. Au centre de chacun se déroule, en spirale, une ligne représentant le temps, reliant chaque ballon au suivant par un nœud. À la surface, les événements apparaissent comme des étoiles filantes aux traînées lumineuses s’entrecroisant toutes dans la même direction. Au final, ces trajectoires convergent vers des points précis : mes nœuds d’inéluctabilité.

Cette idée m’est venue dans ma jeunesse, à la lecture d’un livre de poche de vulgarisation de l’histoire de l’astronomie. J’y découvris que deux scientifiques étaient parvenus aux mêmes lois physiques à la même époque sans avoir connaissance des travaux l’un de l’autre. Ce fut le cas de Johannes Kepler, qui établit les lois régissant le mouvement des planètes, et de Godefroy Wendelin, qui obtint indépendamment des résultats comparables. Wendelin, quelques années plus tard, appliqua la troisième loi de Kepler aux satellites de Jupiter. Il ne semble pas qu’il ait eu connaissance directe des travaux de Kepler lorsqu’il entreprit ses calculs, et Kepler, de son côté, ne mentionne jamais Wendelin dans ses écrits connus. Le rapprochement entre leurs travaux a été établi a posteriori par les historiens des sciences, qui ont constaté que Wendelin avait confirmé, de manière indépendante, une partie des travaux de Kepler dans un contexte différent.

Ce type de coïncidence intellectuelle n’est pas rare. L’histoire des sciences regorge de ces nœuds de convergence où plusieurs esprits, isolés les uns des autres, parviennent à des découvertes similaires. Parmi les exemples les plus frappants :

1. Le Calcul infinitésimal

  • Isaac Newton (Angleterre) et Gottfried Wilhelm Leibniz (Allemagne) développent, à la fin du XVIIᵉ siècle, le calcul différentiel et intégral.
  • Chacun adopte ses propres notations, et aucun échange n’a lieu entre eux au moment de l’élaboration initiale.

2. La Théorie de l’évolution par sélection naturelle

  • Charles Darwin (Angleterre) et Alfred Russel Wallace (Malaisie / Indonésie) parviennent indépendamment à la même théorie dans les années 1850.
  • Wallace envoie son manuscrit à Darwin sans savoir que ce dernier y travaillait depuis vingt ans.

3. Le Téléphone

  • Alexander Graham Bell (Écosse / USA) et Elisha Gray (USA) conçoivent, chacun de leur côté, un système de transmission de la voix par fil en 1876.
  • Ils déposent leur brevet à quelques heures d’intervalle, sans aucun contact préalable.

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